MÉMOIRE DU RÉSEAU SOLIDARITÉ ITINÉRANCE DU QUÉBEC

SOMMAIRE

Depuis 1999, le gouvernement fédéral apporte un soutien financier important à l’action des groupes œuvrant en itinérance à travers la Stratégie des partenariats de lutte contre l’itinérance (SPLI). Le Réseau SOLIDARITÉ Itinérance du Québec(RSIQ) juge le programme adéquat et souhaite que le montant qui y est associé soit augmenté. Ce mémoire vise à faire la démonstration que l’accroissement de l’investissement dans la lutte à l’itinérance est indissociable de la croissance économique du Canada. À l’aide de la volumineuse littérature existant sur le sujet, nous démontrerons que le rehaussement du montant dédié à la SPLI à 50 millions de dollars par année au Québec participerait à la relance économique, à la création d’emploi durable et de qualité et, éventuellement, à l’atteinte d’un budget équilibré, tout en favorisant une meilleure redistribution des richesses.

I. La recommandation du Réseau SOLIDARITÉ itinérance du Québec

Le RSIQ recommande au gouvernement fédéral :

1. Que la Stratégie des partenariats de lutte contre l’itinérance (SPLI) atteigne au moins 50 millions de dollars par année au Québec, en continuant de financer l’intervention, les logements sociaux, temporaires et permanents, les installations et l’intervention communautaire.

Le RSIQ juge capital que le gouvernement investisse des sommes plus importantes dans le programme SPLI s’il veut arriver à diminuer le problème de l’itinérance et ainsi conserver une gestion saine de ses finances. Tout d’abord, la croissance du phénomène dans toutes les régions du Québec témoigne de l’insuffisance des investissements gouvernementaux. En effet, les informations fournies par les organismes démontrent que les besoins augmentent à chaque année et que les problématiques se complexifient. Les fréquents débordements sont entre autres rapportés par les refuges de Montréal et Québec et les organismes de l’ensemble des régions du Québec rapportent que l’itinérance gagne en importance[i]. D’autres observateurs, comme l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), prévoient d’ailleurs une aggravation du phénomène[ii]. Le programme SPLI étant un programme pertinent pour lutter contre l’itinérance, la bonification de son enveloppe permettrait une réelle amélioration de la situation.

Ensuite, le coût des terrains, des immeubles, de la rénovation et de la main d’œuvre s’est considérablement accru dans les dernières années. Puisque la SPLI n’est ni augmentée, ni indexée depuis plus de dix ans, cette situation a pour résultat une diminution de la capacité d’action des organismes œuvrant auprès des personnes itinérantes ou à risque et, en conséquence, davantage de personnes se retrouvent ou demeurent dans la rue.

Pour arriver à réagir à cette importante augmentation du phénomène de l’itinérance et à cet accroissement du coût de la vie, les organismes qui luttent contre l’itinérance ont besoin d’un financement supérieur. Ainsi, lors d’un appel de projet dans le cadre de la SPLI, les organisations ont fait part de ces besoins financiers en demandant près de trois fois la somme disponible dans le cadre du programme. Le tableau 1 fait état de l’estimation des régions de leurs besoins minimaux pour une intervention significative en matière d’itinérance. Près de cinq ans s’étant écoulés depuis l’élaboration des derniers plans communautaires, on peut facilement établir que les besoins seront nettement supérieurs en 2012.

Tableau 1: Estimation des besoins financiers
des organismes en itinérance selon les régions[iii]

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II. Le rôle de l’investissement fédéral en matière d’itinérance dans la reprise économique

La participation des personnes itinérantes à l’économie canadienne

Les personnes en situation d’itinérance ou à risque de le devenir, étant donné leur extrême précarité, la situation de survie et l’absence de choix auxquels ils sont confrontés, sont peu ou pas du tout en mesure de participer à la croissance de l’économie canadienne. Un investissement suffisant à réduire et enrayer le phénomène de l’itinérance pourrait permettre au gouvernement de profiter de la capacité créatrice et productive de tout un pan de sa population.

De plus, de nombreux observateurs font la démonstration que les revenus générés par la croissance économique, en étant réinvestis dans les politiques sociales, permettent de créer davantage de richesse. Ce réinvestissement doit ainsi permettre aux personnes de développer des compétences et créer des opportunités pour favoriser leur inclusion sociale[iv]. Dans cette optique, l’augmentation de la SPLI conduirait éventuellement à la croissance économique du pays.

La cohésion sociale pour faire face à une crise économique

Certains économistes considèrent que la capacité des économies à faire face aux chocs dépend de la cohésion sociale[v]. Puisque les investissements sociaux ont un impact majeur et indéniable sur le développement des capacités des personnes, sur leur santé, sur leur intégration en emploi, etc., les sociétés les mieux équipées en la matière traversent avec moins de conséquences négatives les crises économiques. D’ailleurs, quelque mois après des difficultés économiques, les groupes en itinérance remarquent une augmentation de l’utilisation de leurs services. Il est évident que la réintégration sociale de ces personnes est beaucoup plus coûteuse que le maintien d’un filet social adéquat en situation de crise.

III. Création d’emplois durables

La SPLI a permis l’embauche de plus de 300 personnes au Québec seulement. Les investissements en matière d’itinérance créent donc de l’emploi. Malheureusement, à cause de l’insuffisance des fonds et des renouvellements toujours incertains du programme, il est difficile de prétendre que ces emplois sont durables et de qualité. Premièrement, puisque les organismes ne sont pas toujours assurés du renouvellement de la SPLI, les emplois proposés aux travailleurs et travailleuses sont incertains. Ils le demeurent aussi considérant qu’aucune indexation n’a été octroyée dans le cadre du programme depuis ses débuts, obligeant les organismes à maintenir les employés dans des conditions de travail précaires. Deuxièmement, avec l’augmentation et la complexification du phénomène de l’itinérance, la charge de travail des organismes s’est alourdie, affectant grandement la qualité des emplois. D’ailleurs, plusieurs directions d’organismes rapportent des cas d’épuisements professionnels dans leur équipe de travail. Le déploiement du programme SPLI à la hauteur des besoins exprimés par chacune des communautés permettrait donc une grande amélioration au niveau de la qualité et de la durabilité de ces emplois.

IV. Le maintien des taux d’imposition relativement faible et l’atteinte d’un budget équilibré

Plusieurs s’entendent pour dire que la pauvreté a des coûts et que de ne pas s’en occuper est une incohérence du point de vue économique, l’inaction étant plus dispendieuse que l’action. D’ailleurs, le Conseil national du bien-être social présente sur son site Internet une bibliographie imposante sur les coûts de la pauvreté[vi]. En ce qui concerne l’itinérance, dans son rapport du Sous-comité sur les villes 2009, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales recense plusieurs études et témoignages et fait la démonstration qu’il coûte moins cher d’investir de façon à diminuer les facteurs de désaffiliation sociale que de laisser quelqu’un à la rue[vii].

En effet, en plus des sommes directement investies dans le cadre de la SPLI, d’autres coûts sont associés à l’absence de lutte contre l’itinérance, notamment au niveau de la santé et de la judiciarisation des personnes. Les personnes en situation d’itinérance fréquentent davantage les hôpitaux et les urgences et sont plus hospitalisées que le reste de la population. Cette situation s’explique entre autre par le manque d’accès à la santé préventive, aux aliments nutritifs et à un logement chaud, adéquat et sécuritaire[viii]. De plus, de nombreux coûts sont associés au domaine juridique. Tout d’abord, les personnes en situation de pauvreté sont celles qui sont le plus souvent gardées en détention sans caution[ix]. Ensuite, il a été démontré que les pratiques de judiciarisation des personnes itinérantes, en plus d’avoir des conséquences importantes pour les personnes, sont extrêmement coûteuses[x].

Des estimations sommaires établissent que plus d’un milliard de dollars est dépensé à chaque année pour traiter le problème de l’itinérance[xi]. À la lumière de ces constatations, le principe de gestion responsable des fonds devrait guider les décideurs vers une véritable lutte à l’itinérance, si on ne veut pas contraindre les contribuables à un investissement perpétuel qui arrive seulement à gérer le phénomène au lieu de l’enrayer.

Perspectives d’avenir

Pour arriver à mettre sur pied une véritable lutte contre l’itinérance, il est capital que le gouvernement dispose des sommes nécessaires et ait une vision à long terme de ses actions. Dans cette optique, le renouvellement de la SPLI, programme incontournable pour la diminution et l’éradication du phénomène, est pressante. Les organismes qui jouent un rôle dans la lutte à l’itinérance sont prêts à collaborer dès maintenant à la configuration d’une prochaine stratégie, à partir de 2014, ce qui nous le souhaitons, permettra une véritable lutte contre l’itinérance.

CONCLUSION

Le RSIQ demande donc que le budget annuel alloué à la SPLI au Québec soit augmenté à un minimum de 50 millions $. Nous pensons que le rehaussement de cette enveloppe, dans le cadre d’une planification cohérente, permettrait aux organismes communautaires œuvrant en matière d’itinérance de mettre sur pied ou de consolider de véritables stratégies pour diminuer considérablement l’itinérance, ce qui finalement, permettra au gouvernement canadien et aux contribuables d’économiser. Ces décisions politiques seraient d’ailleurs en toute conformité avec les recommandations de l’Organisation internationale des Nations Unies qui préconise le respect des droits économiques, sociaux et culturels par une intervention significative au niveau de la lutte à la pauvreté[xii].

Le Réseau SOLIDARITÉ Itinérance du Québec

Le Réseau Solidarité Itinérance du Québec (RSIQ) a été créé en 1998 et regroupe aujourd’hui treize (13) concertations régionales représentant près de 300 organismes.

Sa mission s’articule autour des objectifs suivants :

·         réduire et soulager l’itinérance, contribuer à réduire la pauvreté ;

·         soutenir les interventions des groupes en itinérance et les représenter ;

·         favoriser l’échange, le développement des connaissances et la concertation locale, régionale et nationale en matière d’itinérance.


[i]       Études et portraits confirment l’accroissement du phénomène. Par exemple, « Pour un continuum de services centré sur la personne itinérante» (2011), p.46. Roy, S. et al. I. « Itinérance en Montérégie. Comprendre le phénomène et identifier les besoins ». Collectif de recherche sur l’itinérance, la pauvreté et l’exclusion sociale, (2003) p.96. ; Noir sur Blanc, bulletin de lutte à l’itinérance en Outaouais, publication annuelle du Collectif régional de lutte à l’itinérance en Outaouais. En ligen. www.lecrio.org

[ii]      Eve-Lyne Couturier et Guillaume Hébert, « Logement 2010: Différents visages de la crise » (2010),
Institut de recherche et d’informations socio-économiques. En ligne. http://www.iris-recherche.qc.ca/publications/logement_2010_differents_visages_de_la.pdf

[iii]     À partir des sommes demandées dans le cadre de l’IPLI 2007. Les appels de proposition pour les projets de la SPLI 2012-2014 se finaliseront à l’automne 2011 et permettront d’avoir un nouveau portrait des besoins.

[iv]     Institute for Competitiveness and prosperity, «Prosperity, Inequality and Poverty» (2007).En ligne. http://www.competeprosper.ca/index.php/work/working_papers/working_paper_prosperity_inequality_and_poverty

[v]      Woolcock, M. « The Place of Social Capital un Understanding Social and Economic Outcomes », Canadian Journal of Policy Research, (2001), cite dans Conseil national du bien-être social. « Le coût de la pauvreté », (2002), p.8.

[vi]     Conseil national du bien-être social. « Le coût de la pauvreté et la valeur des investissements : Bibliographie exhaustive. En ligne. http://www.ncw.gc.ca/c.4mm.5n.3ty@-fra.jsp?cmid=4

[vii]    Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. « Pauvreté, logement,itinérance : les trois front de la lutte contre l’exclusion ». Rapport du Sous-comité sur les villes (2009), p.127.

[viii]   Ibid., 132-133

[ix]     Conseil national du bien-être social. « La justice et les pauvres » (2000). En ligne. http://www.ncw.gc.ca

[x]      Marie-Eve Sylvestre, « La pénalisation et la judiciarisation des personnes itinérantes au Québec : des pratiques coûteuses, inefficaces et contre-productives dans la prévention de l’itinérance et la réinsertion des personnes itinérantes», mémoire présenté dans le cadre de la Commission parlementaire sur l’itinérance. En ligne. http://www.droitcivil.uottawa.ca

[xi]     Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, « Pauvreté, logement, itinérance : les trois front de la lutte contre l’exclusion », p.128.

[xii]    Comité des droits économiques, sociaux et culturels. « Les observations du Comité sur les rapports de Monaco, du Liechtenstein, du Canada, du Mexique et du Maroc ». Communiqué de presse paur le 19 mai 2006. En ligne. http://www.aidh.org/ONU_GE/Comite_Drteco/36Sess.htm